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La restitution du Haut-Koenigsbourg fut l’objet d’un chantier pharaonique certes mais aussi un chantier moderne, aux méthodes techniques et sociales d’avant-garde.
La modernité des techniques employées en ce 20ème siècle débutant explique la brièveté de la durée entre le commencement et la fin de travaux gigantesques.
La pierre et l’eau
Sur le chantier comme jadis dans la forteresse, l’eau courante est indispensable aux hommes mais aussi aux machines ; on construit donc dès 1901 une station de pompage, toujours utilisée aujourd’hui, actionnée par un moteur à essence.
Il faut aussi des pierres, ici du grès rose comme celui qui a servi à l’édification du château ; on va donc ouvrir une carrière à l'Oedenburg, site proche du chantier et pour transporter les blocs de grès jusqu’au château, une locomotive à vapeur est mise en service en janvier 1902 ; les serruriers qui l'entretiennent la nomment « Hilda ». « Hilda » est une belle plante de 5 tonnes et il faut la force de trente chevaux pour la tracter de la gare de Sélestat jusqu’au chantier, tout en haut !
Les maçons ont besoin de sable : il va leur être fourni par une broyeuse à grès actionnée par un moteur à vapeur.
L'électricité
Ce chantier moderne ne pouvait ignorer l’électricité ; deux grues mécaniques avaient été installées dès le début en 1901 ; l’une circule sur des rails surplombant le haut-jardin, la seconde est installée à l'intérieur du donjon. Leur électrification est faite en 1902 par le moyen d'une machine à vapeur transportable appelée "locomobile". Le chantier va donc être éclairé alors que les villages au pied du château ne bénéficieront du courant qu’après la Première Guerre Mondiale…
D’une trentaine d’ouvriers à plus de deux cents
Les équipes d’ouvriers et de contremaîtres sont recrutées dans les villages environnants, par recommandations ou petites annonces ; même si les effectifs sont complétés par quelques compagnons allemands, il est indéniable que les « locaux » ont tenu un rôle de première place dans la restauration du château.
Les gros travaux (déblaiement, échafaudage, taille de pierre, etc.) comme la fabrication des éléments en bois (volets, galeries, charpentes, etc.) sont effectués par les ouvriers tandis que les scieries locales et les forêts avoisinantes fournissent le bois.
Les travaux de plomberie, gouttières, éléments en cuivre ou d’artisanat d'art (fabrication des poêles en céramique, réalisation des modèles en plâtre pour les sculpteurs, etc.) sont confiés à des entreprises extérieures, en majorité allemandes.
Des corps de métier nombreux
Carriers, tailleurs de pierre, maçons, machinistes, serruriers, charpentiers, forgerons, aubergiste et cantinière sont présents ; on installe un bistrot, une cantine et des dortoirs pour les ouvriers ; un récit fait revivre le rythme du chantier :
«Le rythme hebdomadaire de travail était de six fois dix heures. Les ouvriers et employés avaient la possibilité de prendre les repas à la cantine et de se coucher dans des dortoirs.
D’une manière générale, tous les ouvriers profitaient de ces avantages et ne rentraient que le samedi, à pied bien entendu, car il n’y avait pas d’autre moyen de locomotion. Le temps du trajet aller-retour était de trois heures.».
Citation extraite de « Chronique d’une famille alsacienne » par H. Brenner, fils du contremaître Henri Brenner, fin 20ème siècle
Toutefois les effectifs ne sont pas les mêmes tout au long de l'année : d’après les registres des cotisations payées à Sélestat, le nombre d’ouvriers passe, au fil des saisons, de 30 à plus de 200 !
La vie de chantier
Les rapports de chantier font ressortir certaines personnalités comme :
Charles Dickely :
Ce serrurier d’Orschwiller, village situé au pied du château, est responsable des artisans du fer. L'ensemble des ferronneries du château (serrures, herses, chaînes, etc.) est réalisé par son équipe qui installe et assure également la maintenance des machines. Chaque jour jusqu'en 1905, il monte à pied de son village jusqu’au château. Il sera ensuite logé sur place, au-dessus de la forge, et installera même sa basse-cour à l'Oedenburg ! Il continuera, après l’inauguration, à réaliser quelques décorations, dont la grille de la salle du Kaiser qu'il forgera avec son fils ; il conduit en parallèle les visites guidées du monument.
Henri Brenner :
Il est le chef des charpentiers et est déjà reconnu dans la profession lorsque Bodo Ebhardt le sollicite pour devenir contremaître, directement sous ses ordres. Après son mariage en 1905, il part chaque jour de son village de Châtenois, à une dizaine de kilomètres, pour rejoindre le site ; ses descendants résident toujours dans le village. Il va participer aux travaux de finition jusqu'en 1910 après avoir été récompensé pour son travail en 1908 par une médaille dont seulement neuf exemplaires furent offerts.
Les rémunérations
Le serrurier Charles Dickely et la cantinière Rosalie Gassmann reçoivent un salaire mensuel quand tous les autres ouvriers sont payés à l'heure, tous les quinze jours sauf les carriers qui sont rétribués à la tâche (c'est-à-dire au nombre de pierres taillées).
Tous les ouvriers bénéficient de caisses de retraite et d'assurance maladie et invalidité. Les ouvriers accidentés ou leurs veuves reçoivent des indemnités à partir de 1904 ; ces dernières sont prélevées sur le droit d'entrée instauré cette même année pour la visite du château. Le château restant ouvert pendant la durée des travaux, ce droit d'entrée compense le temps passé par les ouvriers pour accueillir les visiteurs qui sont de plus en plus nombreux.
Coût de la reconstruction
La décision de s’atteler à la reconstruction du château prise, dès l’été 1899, une réserve de 100 000 marks est constituée sur les fonds propres de l'empereur pour financer les études préliminaires.
Le coût total des travaux se montera à 2 250 000 marks financés pour une part par l’Etat allemand, pour une autre sur la cassette personnelle de l’empereur et pour la dernière par la ville de Sélestat.
Que pensaient les Alsaciens de leur Haut-Koenigsbourg ?
Bien que la forteresse soit un lieu d'attraction touristique depuis le milieu du siècle, la nouvelle de la reconstitution ordonnée par l'empereur allemand va déclencher de violentes polémiques chez les intellectuels et les adversaires d'une présence allemande en Alsace.
Comment alors les Alsaciens considèrent-ils le château après sa restauration ?
Voici ce qu’en pensait Madame Monique Fuchs, conservatrice du Musée des Beaux-Arts et du Musée municipal de Mulhouse de 1982 à 1990. Puis en 1990, administratrice du Haut-Koenigsbourg et conservatrice de ses collections.
« Le chantier de restauration sur lequel étaient appliquées des techniques d'avant-garde spectaculaires attirait déjà des foules de touristes venus d'Alsace, de France et d'Allemagne ; le phénomène alla s'accentuant après l'achèvement des travaux. On pouvait voir sur le chantier deux grues électriques et un petit train comme ceux utilisés dans les mines. Tout cela attirait les touristes qui venaient en famille ou en groupe. Un car faisait la navette entre Marckolsheim, Sélestat, Kintzheim et le Haut-Koenigsbourg. On pouvait aussi prendre le train jusqu'à Saint-Hippolyte, la Vancelle-gare ou Sélestat. De là, il y avait encore une heure ou une heure et demi de marche. L'afflux était si grand qu'on finit même par construire une troisième route entre Kintzheim et le Haut-Koenigsbourg. " Pourtant, même si elle était un but d'excursion apprécié, la forteresse resta longtemps aux yeux des Alsaciens le symbole de la présence allemande. Quoi de plus évident dès lors, pour Renoir, que d'y tourner " La grande illusion ", un film résolument pacifiste où le cinéaste démontre l'absurdité de la guerre en prenant l'exemple des Français et des Allemands. »
Interview d’Arte dans le cadre des « 10 ans d’Arte » en 2011.
Sources :
Site du château :
http://www.haut-koenigsbourg.fr
Arte – les 10 ans :
DNA, article tempête Joachim
Wikipedia
Kastel Elsass