Retour vers : ARTICLES * DOSSIERS SPECIAUX
«Bastide», ce nom issu de l’occitan, caractérise les centaines de villes nouvelles dans le sud-ouest de la France, dont la construction s’est étalée entre 1222 et 1373, période comprise entre la Croisade des Albigeois et la Guerre de Cent Ans ; des caractéristiques, économiques, politiques et architecturales, leur sont communes.
Parmi les plus connues, la bastide de Monpazier, la mieux conservée et aussi la plus harmonieuse du Périgord, ce qui lui a valu d’être considérée comme le modèle parmi les autres bastides ; son plan, retenu par Viollet-le-Duc est, depuis le XIXème siècle le plan théorisé des bastides.
C’est au XIXe siècle, que l'étude historique des bastides commence et qu’elles sont définies comme «…fondées a novo, d'un seul jet, à une date précise, sur un plan préconçu, généralement uniforme…». Être une ville, avec un acte fondateur et des textes originels, caractérise donc une bastide mais elle peut ne pas être une «fondation a novo» car souvent l’endroit choisi pour son implantation était un village existant et absorbé, ou un lieu mythique ou encore le lieu où des activités commerciales existaient, attirant un grand nombre de personnes. La bastide est en conséquence l'aboutissement d'une volonté nouvelle d'aménagement du territoire.
L’implantation des bastides :
Après la construction des castelnaux et des sauvetés, celle des bastides va être d’une ampleur sans pareille dans la Gascogne médiévale, devenue une zone de conflit entre les rois de France et d’Angleterre.
L’origine de ce conflit ? Un mariage rompu avec l’annulation de celui d’Aliénor duchesse d’Aquitaine et de Louis VII roi de France et un remariage, celui d’Aliénor avec Henri Plantagenêt, futur Henri II roi d'Angleterre. La cause inacceptable pour le roi de France ? L’immense duché d’Aquitaine dont les terres vont de la Loire au Pyrénées, tombe avec son ex épouse dans les bras du futur roi d’Angleterre ; le sud-ouest devient alors une terre de conflits entre les royaumes de France et d'Angleterre. La situation va empirer, et, pour des raisons de souveraineté ou dynastiques, donnera naissance à la Guerre de Cent Ans.
Mais malgré l’intérêt géopolitique des bastides, l’implantation de ces dernières tiendra compte du relief, de la richesse des sols et surtout de la présence vitale de l’eau. Ce grand mouvement d’urbanisme ne reste pas toutefois cantonné à la Gascogne et se retrouve dans le reste de l’Europe avec les « villasnovas » en Catalogne, les gründungstädte de l’autre côté du Rhin ou les borghi nuovi en Italie.
Les fondateurs des bastides :
Le roi de France, Louis IX "Saint Louis", son fils Philippe III le Hardi, et son petit-fils Philippe IV le Bel ;
Le roi d’Angleterre Henri III Plantagenêt, son fils Édouard Ier, son petit-fils Édouard II et son arrière petit-fils Édouard III ;
Le comte de Toulouse Raymond VII ;
Alphonse, comte de Poitiers, frère du roi Saint Louis ; ayant épousé la fille unique de Raymond VII, comte de Toulouse, il succède à son beau-père ;
Des sénéchaux qui agissent au nom du roi et pour son compte ; par exemple pour le roi de France : Eustache de Beaumarchès, sénéchal du Poitou ; Jean des Arcis et Guillaume de Mâcon, sénéchaux du Rouergue ; Simon de Melun, sénéchal du Périgord ; Et pour le roi d’Angleterre : Jean 1er de Grailly, sénéchal d’Edouard 1er ;
Des seigneurs comme le comte de Foix, le comte du Comminges, le comte d’Astarac, le puissant Guérin, baron de Castelnau ou Bernard VI, comte d’Armagnac, avec l’autorisation d’Edouard 1er, roi d’Angleterre ;
Des hommes d’Eglise comme Amanieu II d’Armagnac, archevêque d’Auch, ou des religieux comme les moines cisterciens de l’abbaye de Grandselve.
Raisons de la fondation des bastides :
Raisons politiques comme le besoin du comte de Toulouse de renforcer son pouvoir après les résultats de la Croisade des Albigeois ou les relations conflictuelles entre les royaumes de France et d’Angleterre qui amènent Alphonse de Poitiers à fonder des bastides aux frontières du duché d'Aquitaine ;
Raisons économiques comme la mise en valeur de terres inexploitées ou des revenus importants à percevoir créés par les foires et marchés qui se tiendront dans les villes nouvelles ;
Raisons démographiques soit avec le regroupements d'habitats dispersés ou l’arrivée de nouvelles populations obligées d’abandonner leurs villages détruits ;
Raisons de sécurité pour les habitants victimes des compagnies de brigands ou des conflits entre seigneurs.
Les périodes de fondation des bastides :
La période dite «comtale» : de l’avènement de Raymond VII comme comte de Toulouse en 1222 à sa mort en 1249 ;
La période dite «alphonsine» : en 1249 à la mort de son beau-père Raymond VII, Alphonse de Poitiers, frère de Saint Louis, devient comte de Toulouse jusqu’à sa mort en 1271 ;
La période dite «sénéchale» : elle commence en 1271 à la mort d’Alphonse de Poitiers ; ce dernier n’ayant pas de descendance, le comté de Toulouse est réuni au domaine royal ; la gestion des sénéchaux du roi prend fin en 1294.
La fin du XIIIème siècle et le début du XIVème voient grandir les tensions entre les royaumes de France et d’Angleterre. La majeure partie des bastides construites durant cette période sont anglaises ou seigneuriales et peu sont à l’initiative du roi de France.
La Guerre de Cent Ans qui débute en 1337 mettra fin à la construction des bastides.
Les bastides sont les témoins de la grande capacité d’innovation des urbanistes du Moyen Âge qui ont créé l’architecture gothique comme l’urbanisme gothique. Cet urbanisme original n’est pas du à l’avancée de la technique mais est le résultat d'une réflexion très achevée de la construction.
Les étapes de la fondation d'une bastide :
- Le choix de l'emplacement, pour lequel l’assise foncière doit être suffisante et détenir l'autorité nécessaire ;
- Le choix du nom, qui peut rappeler entre autres celui d’une ville étrangère, comme Cordes-sur-Ciel à l’origine Cordoa (Cordoue), l’origine du site choisi, le nom du fondateur, comme Beaumarchés pour Eustache de Beaumarchés, Sénéchal du Poitou ou l’autorité royale comme Villeréal ;
- Le contrat de paréage, était en droit féodal, un contrat d’association entre des seigneurs, ce qui leur donnait la propriété en indivision d’une terre et l’assurance d’une égalité de droits. La règle générale était que le contrat était conclu à perpétuité et à la mort de l’un des signataires, tacitement reconduit en faveur de leurs héritiers ;
En ce qui concerne les bastides, ce contrat était passé entre le fondateur et les personnes qui apportaient les terres, seigneurs ou hommes d’église. Les bénéfices tirés des bastides ainsi créées, comme les droits sur elles, étaient également partagées entre les deux parties ;
- Le plan de la ville ;
- La charte de coutumes, liste des privilèges fiscaux, judiciaires, honorifiques accordés aux habitants.
La Cérémonie de fondation :
Organisée sur le site par le fondateur, elle réunit le représentant de ce dernier, les notables et les futurs habitants de la bastide.
Pendant cette cérémonie, un long pieu – le pal - portant les armoiries du fondateur, est planté dans le sol, c’est le «fixatio pal», on lit à voix haute la charte de coutumes et des crieurs publics sillonnent les environs de la bastide pour l’information des absents.
L’architecture des bastides :
La place
Située au centre de chaque bastide, sa taille est variable mais n’a pas de rapport avec l’importance de la bastide ;
La Place des Cornières, Monpazier (Dordogne)
L’accès s’y fait par les angles pour la soustraire à la circulation ;
Cornière d’accès à la place du même nom, Monpazier (Dordogne)
Un puits ou une fontaine sont souvent là pour les besoins en eau des habitants ; la place a d’abord un rôle administratif avec la maison communale dans laquelle siègent les consuls, représentant la population, et le bayle, représentant l’autorité royale ou comtale.
La Place des Arcades et son puits, Sauveterre-de-Rouergue (Aveyron)
Réservée dès le début aux marchés et foires, elle devient le centre d’attraction par sa fonction économique très importante ; elle est même un symbole de position sociale car les maisons qui la bordent appartiennent aux familles les plus anciennes, les premières à s’être établies dans la bastide.
Les couverts
Appelés aussi arcades ou porches, ils ne sont pas l’exclusivité des bastides et on les retrouve souvent dans les parties médiévales des villages ; les places entourées par eux, portent le nom de «places à couverts ou places des cornières».
Belle enfilade des couverts de la Place des Cornières, Monpazier (Dordogne)
Une autre vue de ces belles arcades de pierre en ogive
La superbe architecture des couverts de brique, L’Isle-sur-Tarn (Tarn)
La halle
Elle trône au centre de la place et pendant les marchés, protège les étals des marchands et les chalands du soleil et de la pluie ; on trouve souvent à l’étage les locaux du pouvoir consulaire, sommés parfois d’une petite construction abritant une cloche.
La halle de Monpazier (Dordogne)
Celle de Grenade-sur-Garonne (Haute-Garonne) et ses piliers en brique foraine,
qui supportent le magnifique appareillage de bois de la charpente
La halle de Villeréal (Lot-et-Garonne)
L’escalier descendu par Memphis notre chien, mène à une construction à pans de bois qui couvre tout le centre de la halle ; cette construction servait aux réunions des consuls de la bastide
Les remparts
Ils ne sont pas construits par le fondateur qui laisse aux habitants de la bastide le soin de les édifier et pour en assumer le coût, de prélever un impôt ou d’instaurer un octroi ; l’époque étant calme puisque la Croisade des Albigeois est terminée et que la Guerre de Cent Ans n’a pas encore commencé, les habitants ne se pressent pas pour édifier ces murs de protection ; certains, comme à Libourne, iront même, après avoir emprunté à leur seigneur l’argent pour les construire, utiliser cette somme pour embellir leur ville…
De nombreuses bastides payèrent chèrement leur insouciance et furent détruites dès le début des affrontements de la Guerre de Cent Ans ce qui motiva les autres pour édifier enfin mais dans la précipitation, les remparts protecteurs.
Vestiges des remparts et Porte de la Guierle, Bretenoux (Lot)
Porte Notre Dame, l’un des accès à la bastide et les maisons qui ont pris la place des remparts
Monpazier (Dordogne)
Les maisons
Elles doivent être construites très rapidement par les nouveaux habitants et répondre à des règles d’implantation très précises : les façades donnant sur la rue doivent être alignées, la construction, d’un étage au-dessus du rez-de-chaussée...
Alignement des maisons à pans de bois sur la Place Royale, Labastide d’Armagnac (Landes)
Et celui des façades de pierre sur la Place des Arcades, Castelnau de Montmiral (Tarn)
...et l’obligation de laisser un espace vide entre les maisons ; cet espace appelé «androne», d’une largeur pouvant aller jusqu’à 50 cm, destiné à l’écoulement des eaux de ruissellement et des eaux usées, sert aussi à contenir la propagation des incendies.
Androne séparant les maisons au-dessus des couverts, Place des Consuls à Bretenoux (Lot)
Androne entre les maisons à pans de bois de la Place Royale, Labastide d’Armagnac (Landes)
L'administration des bastides :
Avec la création des bastides, une nouvelle forme d’administration de la cité apparaît avec la mise en place de représentants du peuple :
Les consuls nommés par le fondateur pour une période d’une année ; lors du renouvellement, les nouveaux consuls sont cooptés par les précédents. Les consuls ont en charge la gestion de tout ce qui concerne la bastide,
Les jurés chargés d’appliquer la justice,
Le bayle ou bailli, représente le roi et a la charge de faire respecter ses décisions. ; il collabore dans son travail avec les consuls.
La justice :
Sur ce plan également, on va innover dans la manière de juger les délits désormais classés selon leur gravité, assortis de peines en proportion ; les châtiments corporels seront supprimés dans les bastides alors qu’ils sont toujours appliqués dans les villes anciennes.
Enfin, fait nouveau, pour le même délit une peine plus lourde sera infligée à un noble par rapport à un habitant lambda, la position du premier devant probablement garantir un comportement exemplaire.
Flâner, admirer les Bastides du sud-ouest, c’est ICI
Sources :
Bastide de Montpazier
Bastide de Monflanquin
http://www.monflanquin-tourisme.com
Les Bastides du Rouergue
Les Bastides du Tarn
Bastides en France
Wikipedia