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La découverte de la Cathédrale Sainte-Cécile est une expérience qui vous marque et tout ce que l’on peut décrire comme tout ce que les photos peuvent montrer, est loin de représenter réellement ce que nous avons ressenti lors de nos visites.
La Cathédrale Sainte Cécile et le Palais de la Berbie, vus du Pont Vieux
Bien avant d’arriver à Albi, on la voit au loin, comme un phare, posée sur un piton rocheux, elle domine et protège en même temps la ville étalée à ses pieds. Puis on est enfin devant elle : une forteresse de brique rose qui vous écrase de sa puissance, de sa masse, sans fioritures, sans ornements, d’une pureté sévère et élégante.
Il aura fallu deux siècles, de 1282 à 1492, date à laquelle le clocher fut terminé, pour construire celle qui est la plus grande cathédrale de briques au monde et qui fait aussi partie des plus grands monuments en cette matière.
Avec elle, tout est au superlatif : seule cathédrale d’Europe dont les murs et la voûte sont entièrement peints soit une surface d’environ 18.500 m2 dont le Jugement Dernier, parmi les plus amples du Moyen Age, s’intègre dans l’un des plus grands ensembles de peinture italienne du début de la Renaissance en France.Une nef unique, excluant les arc-boutants du fait de l’absence de vaisseaux latéraux ; seuls les contreforts, directement construits contre les murs, soutiennent les voûtes. L’arrondi de ces contreforts affinés au sommet, dont l’originalité est spécifique à Albi, rythme la verticalité des murs, renforce l’élan de l’ensemble tout en respectant son élégance austère.
Chevet de la cathédrale et les contreforts arrondis s’affinant au sommet
A gauche de la photo, le baldaquin et au sommet du chevet, la seule tourelle conservée après les ajouts style « troubadour » au XIXème siècle.
Pourquoi cette cathédrale ? Le contexte politique et religieux qui règne à Albi à la fin du XIIIème siècle en est l’explication. L’hérésie cathare a affirmé sa présence dans la ville depuis la fin du XIIème siècle et il est significatif que la croisade conduite au siècle suivant par Simon de Montfort, et qui porte le nom « d’Albigeois », cible les ennemis des croisés et de l’orthodoxie.
Cette montée du catharisme entraîne également de violents conflits entre les élites de la ville qui veulent être autonomes et gouverner sans contrainte et l’évêque Bernard de Castanet. La cathédrale et le palais de la Berbie seront la réponse au défi des uns et aux prétentions politiques des autres. Bernard de Castanet est un soldat de la papauté, un évêque de combat et la cathédrale sera une forteresse de la foi. Ce prélat d’exception va établir une véritable monarchie épiscopale. Outre la construction de cette nouvelle cathédrale, il va faire renforcer par des tours le château des évêques et réunir les deux monuments en une Cité épiscopale qui domine la ville. Enfin l’architecture de Sainte-Cécile, épurée et austère, retourne contre l’hérésie certains de ses atouts.
La cathédrale sera érigée grâce à la prospérité des campagnes et des dîmes qui y sont prélevées par l’évêché d’Albi, l’un des plus riches du royaume. Sa construction durera plus d’un siècle. La première brique est posée symboliquement le 15 août 1282, jour de l’Assomption ; de 1400 à 1473 le chantier s’arrête faute de financement à cause d’évènements très graves qui frappent l’Albigeois. En 1473, Louis d’Amboise, proche du roi, devient évêque d’Albi et entreprend de faire terminer l’extérieur et l’intérieur de la cathédrale qu’il consacre en 1480 ; pendant ces années sera réalisée la fresque gigantesque du Jugement Dernier par des artistes au talent exceptionnel, probablement flamands, et malheureusement restés inconnus.
Cet ensemble est remarquable par sa surface, par sa qualité et sa disposition en miroir ; Cette gigantesque peinture à la détrempe couvrait à l'origine près de 200 m². On distingue trois registres : le ciel, la terre et l'enfer.
Au paradis figurent les anges, les apôtres, puis les élus, dans un ordre de préséance qui reproduit celui de la cité terrestre. La terre tient une place réduite. Une gesticulation frénétique trahit l'épouvante des impies. L'enfer occupe le registre inférieur. A l'origine il comptait autant de compartiments que de péchés capitaux : orgueil, envie, colère... L'avarice, la gourmandise, et la luxure sont traitées par le feu ; La paresse a disparu car cette œuvre fut mutilée au XVIIIème siècle par l'ouverture, au centre de la paroi, d'un accès à une chapelle située sous le clocher.
Le Jugement Dernier et l’ouverture percée en son centre qui sépare le Paradis à gauche de la photo de l’Enfer, à droite
En réalité le Paradis est situé à la droite de la représentation du Christ détruite lors du percement, et l’Enfer, à sa gauche.
Au-dessus le Grand Orgue installé à la fin du XVIIIème siècle, surmonté par la magnifique voûte de la nef
Le Paradis, partie gauche de la peinture : les Saints, les Apôtres et les Elus
Dans la même période, le Jubé et la clôture du chœur sont sculptés par des artistes français ; cet ensemble magnifique est un témoignage unique de la sculpture française du XVème siècle, tant par son importance que par sa qualité. La statuaire polychrome qui orne le jubé et la clôture du chœur, a été sculptée par les ateliers bourguignons de Cluny ; elle est d'autant plus précieuse que la plupart des jubés existants ont été détruits. De 1475 à 1492, Louis d’Amboise fera également construire les trois étages du clocher qui va culminer à 78 mètres du sol.
Façade du Jubé qui clôture le Grand Choeur
Les fresques de la voûte forment l'ensemble de peinture italienne de la Renaissance le plus vaste (97 m de long sur 28 m de large) et le plus ancien de France (1509-1512).
Grande Voûte de la Nef
Ce bleu profond qui tapisse les voûtes au dessus du chœur est ce fameux « bleu de France » qu'on dit aussi « bleu-roi ». Contrairement à ce qui a longtemps été mentionné dans les guides touristiques, ce bleu ne provient pas du pastel (plante tinctoriale donnant une couleur bleue, cultivée dans la région à la même époque) ; en effet le bleu de pastel n'était alors exploité que pour la teinture. Lors de prélèvements au niveau de la voûte de la nef, on a pu établir que cette couleur avait été obtenue à base de lapis lazuli et d'oxyde de cuivre ; c'est sans doute le choix de matériaux de qualité qui explique le très bon état de conservation de la voûte.
Les voûtes paraissent flotter dans l’espace pour mieux évoquer le ciel des élus ; à l’angoisse du Jugement Dernier, les voûtes font succéder l’espérance en figurant le paradis suggéré par de grands aplats d’or et d’azur.
Certains peintres ont inscrit leur identité, d’autres sont restés anonymes mais tous ont réalisé les peintures dans des conditions difficiles, en travaillant sur des plate-formes ou dans des nacelles suspendues à la voûte. Malgré un habile camouflage dans le décor, les trous aménagés pour le passage des cordages, restent encore visibles.
Bien sûr ces peintures n’ont pas la finesse d’exécution d’un tableau mais ce n’était pas le but. Ces peintures ont été faites pour être vues depuis le sol, soit 30 mètres plus bas ! Si l’on tient compte de cela, le décor peint des voûtes de la cathédrale Sainte-Cécile est un chef-d’œuvre inégalé. La virtuosité de ces artistes qui travaillaient dans des conditions très difficiles et l’exécution exacte de ce qui leur a été demandé, confinent au génie absolu. La peinture des voûtes exprimant la félicité, l’allégresse et la gloire est à l’opposé de la représentation de l’enfer dans la peinture du Jugement Dernier, qui montre la crainte du péché. C’est un chef-d’œuvre unique de la peinture monumentale du début de la Renaissance française.
Le baldaquin, désignation locale du porche grandiose de l’entrée méridionale, donne accès à un portail aux ornementations luxueuses et à un vestibule d’accès à la voûte somptueuse dont la réalisation commencée en 1510, va durer 5 ans.
La voûte du baldaquin et son ornementation magnifique
La construction du baldaquin et du portail va voir trois évêques se succéder de 1519 à 1535, année de l’achèvement des travaux. Leur édification est la réponse au développement de la Réforme protestante.
Au-delà du contexte religieux de l’époque, le baldaquin a une fonction initiatique : il est le passage du profane vers le sacré et indique le chemin vers le mystère, le sacré et le Salut. Cette symbolique est accentuée par sa construction en pierre blanche et son ornementation exubérante qui tranchent avec force sur la puissance et la nudité austère des murs de brique.
Au fil des siècles, la cathédrale Sainte-Cécile va connaître des transformations plus ou moins importantes :
A la fin du XVIIème siècle, on perce le mur occidental de la nef pour établir à la base du clocher une chapelle dédiée à Saint Clair ; cette ouverture va détruire le centre de ce chef-d’œuvre pictural qu’est le Jugement Dernier ; cette partie disparue représentait sans doute le Christ-Juge et l’archange Saint-Michel, peseur des âmes.
La Chapelle Saint Clair et l'ouverture percée pour accéder à la chapelle, cause de la destruction de la partie centrale du Jugement Dernier
A la fin du siècle suivant, de nouvelles orgues sont installées.
La Révolution ne va pas laisser sur la cathédrale de traces irrémédiables de destruction comme ce fut malheureusement le cas pour nombre de lieux de culte en France. Pourtant Sainte-Cécile a bien failli être atteinte par la fureur révolutionnaire ; en effet pendant la Terreur, il fut envisagé de démolir ces merveilles que sont le jubé et le chœur de la cathédrale et de badigeonner les peintures, symboles du « fanatisme et de la superstition ».
Heureusement un Albigeois, l’ingénieur Mariès, les sauva des vandales en écrivant au ministre de l’Intérieur et des Cultes Roland, qui agit rapidement et demanda aux administrateurs du département de surseoir aux projets de destruction. La Révolution causa, malgré tout, la disparition de nombreuses statues du jubé et du porche, la perte de reliquaires, de croix, d’objets d’orfèvrerie envoyés à la monnaie, ainsi que la fonte de tombes de bronze.
Au XIXème siècle, la réfection de la toiture s’impose en urgence pour sauvegarder les peintures de la voûte ; ces travaux sont confiés à un architecte français, César Daly qui choisit de rehausser le toit de la cathédrale ; ceci implique de masquer cette surélévation par également un rehaussement des murs et des contreforts ; ce rehaussement de 5,50 mètres est encore bien visible du fait de la différence de couleur entre les briques anciennes et les récentes. Mais l’architecte ne va pas en rester là ; avec l’appui de l’archevêque en place, tout acquis au style « troubadour », il décide de coiffer chaque contrefort d’une tourelle de 12 mètres surmontée d’une croix de 2,50 mètres ; on peut imaginer l’effet visuel catastrophique de la cathédrale hérissée de clochetons ! Polémiques, oppositions et interventions jusqu’au plus haut niveau de l’état n’y feront rien et les clochetons seront construits. Par déférence pour l’architecte, c’est seulement après son décès que l’on autorisera la destruction de cette « œuvre ». Seul le clocheton du chevet a été conservé, et on peut imaginer en le regardant, l’allure de la cathédrale surmontée de ces tourelles.
A gauche de la photo, on peut voir la tourelle conservée surmontant l’un des contreforts du chevet
Depuis la fin du XIXème siècle, la cathédrale n’a pas subi de modifications importantes ; seules des opérations de restauration et de conservation sont menées avec discrétion.
Malgré les campagnes de constructions multiples, la cathédrale a gardé une grande unité architecturale laissée intacte par les vicissitudes de l’Histoire et constitue l’expression majeure du gothique méridional.
Dimensions :
hauteur du clocher-donjon: 78 m
longueur totale: 113,5 m
longueur intérieure: 100 m
largeur totale: 35 m
largeur intérieure: 30 m
hauteur des murs: 40 m
hauteur des voûtes: 30 m
épaisseur des murs à la base: 2,5 m
Extérieur de la cathédrale - Gravure sur plaque de bronze exposée à l’intérieur
Plan de la cathédrale - Gravure sur plaque de bronze exposée à l’intérieur
La Cité Episcopale d’Albi a été inscrite au Patrimoine Mondial de l’UNESCO le 31 juillet 2010.
Le périmètre retenu comprend :
La cathédrale Sainte-Cécile
Le palais de la Berbie
L'église Saint-Salvi et son cloître
Le Pont-Vieux
Les berges du Tarn comprises entre le Pont-vieux et le pont ferroviaire
La Cathédrale, le Palais de la Berbie et le Pont-Vieux
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Sources :
Cité épiscopale
Mairie d’Albi