• Renaître comme le Phoenix

    Retour vers : ARTICLES * Carnet de Voyages * ALSACE

     

     

    Alsace Haut-Koenigsbourg reconstruction du château par Guillaume II

     

     

    Tout au long de son histoire tumultueuse, le Haut-Koenigsbourg n’a cessé de renaître de ses cendres pour se voir à nouveau démantelé, incendié, abandonné à un triste avenir de ruines… Jusqu’à ce que la passion pousse un empereur à tout mettre en œuvre pour réaliser son rêve et relever ce formidable vaisseau de grès rose !

    Aujourd’hui, du sommet de son promontoire rocheux à près de 800 mètres de hauteur, cette sentinelle hiératique ayant retrouvé sa superbe, veille avec fierté sur la plaine d’Alsace et la Route des Vins qui serpente à ses pieds.

     

     

    Les Hohenstauffen : le début de l’histoire

     

    Alsace Haut-Koenigsbourg armoiries Hohenstauffen Renaître comme le Phoenix

     

    Armes des Hohenstauffen

     

     

    Au XIème siècle, afin de renforcer sa puissance en Alsace, Frédéric de Hohenstaufen fait construire de nombreux châteaux, même sur des terres ne lui appartenant pas – on disait de lui qu'il avait constamment un château accroché à la queue de son cheval… Il commande donc la construction d’un château sur la montagne Stauffenberg, en toute illégalité, puisque qu’elle fait partie de terres données, au VIIIème siècle, par Charlemagne aux moines de l’abbaye de Lièpvre.

    Le site, fort intéressant, permet de surveiller la route d'Alsace du nord au sud ; au XIIème siècle apparaît alors le nom de Hohkönigsburg ou haut château du roi rappelant que Frédéric de Hohenstauffen « dit Frédéric Barberousse »  est devenu empereur.

     

     

    L’arrivée des ducs de Lorraine

     

    Alsace Haut-Koenigsbourg armes des ducs de Lorraine Renaître comme le Phoenix

     

     Armes des Lorraine

     

     

    Pendant la première moitié du XIIIème siècle, les Hohenstauffen s’affaiblissent et les ducs de Lorraine en profitent pour s’emparer du château. Ce dernier est donné en fief au Rathsamhausen puis aux Hohenstein ; une période agitée commence pour le Hohkönigsburg.

    Devenu un repère de chevaliers brigands qui rançonnent et détroussent les marchands, des milices commandées par les Hohenstein décident d’assiéger le château en 1454, puis le confient à un parent éloigné ; mauvais choix, car celui-ci en profite pour piller à son tour et en 1462, l’attaque violente d’un convoi de notables porte à son comble l’exaspération des puissances voisines ; elles décident de mettre le siège devant le château pour régler définitivement le problème.

     

    On transforme les ruines proches du château d’Oedenbourg, appelé aussi Petit-Koenigsbourg, en plate-forme de tir ; au bout d’une semaine de canonnade, les occupants se rendent, le château est partiellement détruit et ses ruines remises à l’archiduc d’Autriche. Quelques années plus tard, l’empereur Frédéric III les donne en fief aux comtes de Tierstein.

     

     

    Les Tierstein : restauration, protection et modernisation

     

    Alsace Haut-Koenigsbourg Armes des Tierstein Renaître comme le Phoenix

     

    Armoiries des Tierstein ou Thierstein

     

     

    Outre la reconstruction du château, les Tierstein s’emploient à améliorer ses défenses en les adaptant à l'artillerie ; pour cela ils font bâtir sur le côté ouest, partie la plus faible du château, le grand bastion composé de deux tours reliées par un mur bouclier. Ils protègent la cour basse par deux tours en fer à cheval et des courtines aux murs épais ; enfin, ils ceinturent le château d'un premier mur de protection afin de gêner la mise en batterie de l'artillerie ennemie.

    Mais tout cela a un coût, et c’est ruiné que le dernier des Tierstein s’éteint au début du XVIème siècle.

    Le dernier comte de la lignée des Tierstein disparu, l’empereur Maximilien 1er reprend le château. Plusieurs châtelains nommés par les Habsbourg vont successivement avoir la charge de son entretien. Les dépenses importantes engagées pour le moderniser et le maintenir en bon état sont insuffisantes d’autant plus que la Maison d’Autriche est très réticente à fournir l’aide escomptée et promise.

    Le château se dégrade même si le bastion en étoile côté est construit à cette époque.

     

     

    La Guerre de Trente Ans : la destruction

     

    En 1633, la Guerre de Trente Ans oppose, notamment, les Suédois à l'Autriche. Après un premier échec, les troupes suédoises reviennent et assiègent le Haut-Kœnigsbourg, forteresse délabrée, dont les défenseurs attendent en vain l’arrivée de renforts.

    Après cinquante jours de siège, la place se rend le 7 septembre 1633. Le Haut-Koenigsbourg pillé et incendié par les vainqueurs est laissé à l’abandon ; il entre alors dans une longue agonie dans une Alsace ravagée dont la moitié de la population a été décimée.

    Malgré son état, le château est classé pour la première fois monument historique en 1862 puis est racheté trois ans plus tard par la ville de Sélestat.

     

    Alsace Haut-Koenigsbourg en 1857 par Le Seq Renaître comme le Phoenix

     

    Le triste état du château en 1857 : le logis et les oriels, photo de Le Seq

     

     

    La municipalité envisage la restauration du château ; les ruines sont en partie consolidées et l’architecte Winkler propose en 1882, un projet ambitieux qui ne pourra pas être mis en œuvre faute d’argent… La ville est en effet incapable d'assurer financièrement la restauration du château qui reste en l’état. 

    Depuis l’annexion de 1871, l’Alsace est allemande. La ville de Sélestat, le 4 mai 1899, décide d’offrir le château en ruine et les terres qui l’entourent à l'empereur d’Allemagne, Guillaume II.

     

     

    Le rêve d’un empereur et la renaissance du château

     

    Alsace Haut-Koenigsbourg Armes de l'Empire Allemand Renaître comme le Phoenix

     

    Armes de l’Empire Allemand

     

     

    Le Kaiser saisit toute l’opportunité de ce don inattendu et, immédiatement, il en ordonne la restauration non pour en faire une résidence privée (il n’y dormit jamais) mais pour en faire un musée mettant en scène sa vision passionnée du Moyen Age et concrétiser ses rêves.

    Trente ans après l'annexion de l'Alsace, son but n'est pas de se servir de la forteresse comme symbole d'une Alsace allemande mais il souhaite plutôt qu’elle soit le symbole de la légitimité des Hohenzollern dans la continuité des dynasties impériales allemandes.

    Et pour cela des symboles forts, utilisant l’héraldique, sont employés ici et là :

       

    * Sur le Portail d’Honneur, les armes de Guillaume II surmontent celles de Charles Quint, sous le règne duquel les Habsbourg règnent sur un empire immense ;

     

    Alsace Haut-Koenigsbourg Portail d'Honneur Renaître comme le Phoenix

     

    Porte d’Honneur : Armes de Guillaume II surmontant celles de Charles Quint

     

    * La Salle du Kaiser dont la voûte est ornée d’une aigle (terme héraldique) monocéphale immense, les ailes déployées, auréolée d’or portant la devise prussienne « Gott mit uns », « Dieu avec nous »

     

    Alsace Haut-Koenigsbourg plafond de la Salle du Kaiser armes de l'Empire Allemand

     

    Armes de l’Empire Allemand peintes sur la voûte de la Salle du Kaiser

     

    * On retrouve cet aigle en cuivre à l’envergure de 1,20 mètres, trônant au sommet du donjon ; en 1995, un vent puissant le jeta à terre quelques dizaines de mètres plus bas ; dans ses entrailles fut trouvé un cylindre en cuivre ciselé qui renfermait un parchemin rédigé par l’empereur en 1906, rappelant la toute puissance impériale et la grandeur allemande.

    * L’une des 8 marques de chantier, celle de l’année 1903, est constituée de 3 " H " imbriqués qui figurent un aigle stylisé ; la légende gravée au ciseau explique « qu'en ce lieu où régnèrent Hohenstauffen et Habsbourg régnait maintenant Hohenzollern »

     

    L’empereur confie la restauration à un jeune architecte-historien brêmois, Bodo Ebhardt ; celui-ci va, méticuleusement, accomplir un important travail d’historien et se référer à des principes scientifiques rigoureux compte tenu de l’époque : répertorier tous les vestiges archéologiques présents, analyser l’architecture, étudier tous documents d’archives ; il va même en cas d’absence de vestiges ou en cas d’incertitude, jusqu’à étudier d'autres constructions, notamment des châteaux forts choisis parmi les édifices contemporains proches.

     

    L’architecte choisit de restaurer le château tel qu’il était au temps de sa splendeur au XVème siècle, avec les Tierstein. Le chantier qui utilise les méthodes les plus modernes va durer 8 ans !

     

    Dès 1900, de gros déblaiements sont effectués dans la ruine et l’on commence une grande campagne de relevés photographiques qui se poursuivra tout au long des travaux. Les murs conservés jusqu’à hauteur des mâchicoulis, les voûtes préservées en partie sont une base solide de travail.

    Des trouvailles archéologiques en nombre apparaissent lors du dégagement des ruines et ce dernier terminé, la restauration peut commencer. La première pierre posée en 1901, on s’attelle à restaurer en premier le donjon, ce qui, d’une part, permet de dégager les pierres du sol et, d’autre part, est un élément hautement symbolique de la puissance de son nouveau propriétaire.

     

    L’empereur a laissé carte blanche à Bodo Ebhardt excepté pour la Salle du Kaiser ; cette pièce dont l’architecture en pierre, la présence du poêle et de la cheminée montrent qu'à l'origine elle était composée de plusieurs pièces sur deux étages, a été restaurée dans ses proportions monumentales actuelles pour témoigner de la puissance et de la grandeur de l’empire allemand.

     

    La décoration est confiée à un artiste strasbourgeois, Léo Schnug ; si l’on connaissait l’existence de peintures murales, ce qu’elles représentaient reste inconnu. L’artiste va donc réaliser les principales fresques du château en s’inspirant et en réunissant habilement différents styles, comme le néo-gothique, pour orner les murs de joutes chevaleresques, de preux chevaliers, de gentes dames, de scènes épiques et d’arrangements décoratifs aux couleurs éclatantes et très réalistes.

     

    Alsace Haut-Koenigsbourg Fresques Salle du Kaiser Renaître comme le Phoenix

     

    Preux chevaliers s’affrontant sous les regards de gentes dames 

     

    Il reste à meubler ce majestueux écrin et dans ce but, la « Hohkönigsburgverein » (Association du Château du Haut-Koenigsbourg) est créée en 1904 ; elle rassemble des artistes, des chercheurs, des industriels ou de simples anonymes, qui vont se consacrer à chercher et à rassembler le mobilier et la décoration d’un château habité.

    La période allant du début du XVème siècle au milieu du XVIIème siècle est retenue. On sait que les artistes à la fin du Moyen Age, circulaient en Alsace, en Suisse et au Tyrol ; les recherches de mobilier ou d’objets, sont orientées dans ce périmètre en gardant un critère de choix strict : la vraisemblance de leur appartenance au mobilier d’origine du château.

     

    Avec la restauration du Haut-Koenigsbourg Guillaume II a voulu également faire mieux que Napoléon III et la reconstruction du château de Pierrefonds par Viollet-le-Duc. Or, Napoléon III choisit Pierrefonds pour en faire une résidence impériale pour lui et pour y accueillir sa cour ; des meubles aux thèmes médiévaux sont créés…mais dans le style du XIXème siècle.

     

    Guillaume II voulut faire du Haut-Koenigsbourg un musée dédié à sa passion du Moyen-Age et pouvant passer une reconstitution plausible d'une forteresse médiévale mais il n’y résida jamais, son but n’étant pas d’en faire une résidence personnelle. Il suit néanmoins les travaux de très près et visite le chantier chaque année.

     

    Les deux architectes choisis ont eu une vue diamétralement opposée concernant leur travail de restauration et deux conceptions s’affrontent alors :

    -  celle de Viollet-le-Duc qui imprime sa marque à l’édifice, l’imagine, le corrige, le recrée, même en le falsifiant, pour obtenir une finition parfaite à ses yeux ;

    - et celle de Bodo Ebhardt, dont les reconstitutions ou mieux les restitutions sont en général exactes et ne concernent que les parties disparues ou abîmées avec des méthodes tendant vers une restauration scientifique.

     

    Le 13 mai 1908, c’est enfin l’inauguration en grande pompe ; 2 250 000 mark auront été nécessaires pour remettre en état le fier vaisseau de grès ; l’empire allemand, le Kaiser sur sa cassette personnelle et la ville de Sélestat ont été les « Pygmalion » du château. Mais travaux de finition, aménagements intérieurs et peintures murales de Leo Schnug, se poursuivront jusqu'à la Première Guerre Mondiale.

    Le conflit met fin à tous les travaux et certains restent inachevés, comme la chambre "dorée" du donjon.

      

    L’Etat Français

     

    Par le Traité de Versailles de 1919, le Haut-Koenigsbourg devient propriété de l'Etat français et obtient le statut de Palais national ; les travaux de restauration nécessaires quelques années après, feront l’objet de polémiques dues aux relations franco-allemandes.

    Les ruines du château avaient été classées en 1862 mais il fallut attendre 1993 pour que les parties restituées et le domaine national qui l’entoure, soient à leur tour classés au MH.

     Le Haut-Koenigsbourg a été transféré par l’Etat au Conseil général du Bas-Rhin en janvier 2007 et c’est le premier édifice qui a fait l’objet d’un transfert à une structure décentralisée.

     

    C’est l'un des sites touristiques les plus visités en France, avec près de 500 000 visiteurs par an qui l’envahissent pacifiquement ; il a plus à craindre des évènements météorologiques comme en 1999 avec Lothar et Martin ou dernièrement en décembre 2011 avec Joachim (voir le compte-rendu des DNA en cliquant sur le lien en bas de page).

     

    Le blason de Guillaume II est toujours visible dans le château et reste un des symboles de la présence allemande en Alsace entre 1871 et 1918 ; le Haut Koenigsbourg est le témoin du partage entre deux personnalités : celle de Bodo Ebhardt et sa restauration majoritairement crédible et celle de Guillaume II avec sa vision romantique du Moyen Âge.

     

    L'édifice est aujourd'hui pleinement réhabilité. La vue de l’ensemble dominant la plaine d’Alsace donne une idée précise de l'allure d'un château fort de montagne au Moyen Âge.

    Ses murailles abritent une décoration intérieure d'inspiration médiévale d'une grande richesse, ainsi qu'une collection exceptionnelle d'armes et de meubles, essentiellement des XVIe et XVIIe siècles...

    Le Haut-Koenigsbourg mérite bien sa renommée.

     

    Quittons l’Histoire pour entrer dans la « Petite Histoire »

     

    Un tel géant ne pouvait qu’être distingué par le 7ème art ! En 1937, Jean Renoir tourne des scènes de son film « La Grande Illusion » ; les techniciens, les acteurs et les figurants investissent le château. A la veille de la Seconde Guerre mondiale, le Haut Koenigsbourg, au passé lourd des conflits passés entre la France et l’Allemagne, est une toile de fond fortement symbolique pour ce film animé par un idéal humaniste et pacifiste… On y tourne plusieurs séquences en extérieur dans une ambiance hivernale sombre et désespérée.

    La Grande Illusion est citée parmi les chefs d'œuvre du 20ème siècle ; dans ce film qui n’est ni historique ni réellement film de guerre, Jean Renoir fait ressortir la complexité individuelle des hommes en dehors de toute appartenance à une nation.

     

    Le film fut interdit en France à partir de 1940 pour « absence d'idéologie patriotique » et banni en Allemagne par Goebbels qui le désigna "ennemi cinématographique numéro un" !

     

    Qu’importe à cette œuvre qui s’est imposée depuis des années comme une référence incontournable !

    Qu’importe à ce chef d’œuvre dont Orson Welles a dit "Si j'avais un seul film à emporter sur mon arche, à sauver pour la postérité, ce serait La Grande Illusion de Renoir"…

     

    Le Haut Koenigsbourg et la Grande Illusion ne pouvaient que se rencontrer.

      

    Des décennies plus tard, John Howe, célèbre illustrateur d’Héroic Fantasy, tombe sous le charme du château lors de sa première visite dans les années 1980. L’atmosphère mystérieuse de la forteresse le fascine. C’est tout naturellement qu’il s’en inspire pour dessiner la « citadelle de Minas Tirith »  lorsqu’il se voit confier la direction artistique de la trilogie « Le Seigneur des Anneaux » de Peter Jackson. Pour John Howe, le château est « un dessin fantastique que quelqu’un a pu construire » !

     

    A noter que pendant l'occupation de l'Alsace par les Allemands, les collections du musée de Colmar, dont le célèbre retable d'Issenheim ou les tapisseries de la cathédrale de Strasbourg, comme les collections de l'hôtel de ville et des musées de Strasbourg seront transférées au château pour y être cachées.

     

    Sources :

     

    Site du château :

    http://www.haut-koenigsbourg.fr

     

    Arte - les 10 ans :

    http://archives.arte.tv 

     

    DNA, article tempête Joachim :

    http://www.dna.fr/region/2011/12/16/tempete-joachim-le-chateau-du-haut-koenisbourg-ferme-ses-portes-pendant-3-jours

     

    Wikipedia

    Kastel Elsass